Specula Revista de Humanidades y Espiritualidad

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PAUVRETÉ VOLONTAIRE ET GESTION DE LA PAUVRETÉ. LA SITUATION ÉCONOMIQUE DES FRÈRES ET DES MONIALES DE L’ORDRE DOMINICAIN EN TOSCANE (1350-1450)

VOLUNTARY POVERTY AND POVERTY MANAGEMENT. THE ECONOMIC SITUATION OF THE FRIARS AND NUNS OF THE DOMINICAN ORDER IN TUSCANY (1350-1450)

Sylvie Duval1

Fechas de recepción y aceptación: 20 de diciembre de 2022 y 20 de marzo de 2023

DOI: https://doi.org/10.46583/specula_2023.1.1101

Résumé: La question de la pauvreté volontaire traverse l’histoire des ordres mendiants depuis leur fondation. Cet article explore, à travers l’étude des sources pratiques (registres de comptes) des couvents et monastères dominicains de Toscane, l’application effective de cette pauvreté, et son interprétation. L’examen de ces documents met avant tout en évidence les réseaux de relations que crée l’exercice de la pauvreté: des liens économiques et spirituels qui unissent les frères et les moniales, les communautés de réguliers et les établissements pieux (hôpitaux), les religieux et les laïcs. De plus, en croisant le point de vue des frères et des moniales, mais aussi des observants et des conventuels, cet article souligne la variété des interprétations de la notion de pauvreté au sein de l’ordre dominicain, et ses évolutions.

Mots-clés: Pauvreté volontaire, Ordre des prêcheurs, Toscane, Registres de comptes, moniales

Abstract: The question of voluntary poverty has been present in the history of mendicant orders since their foundation. This article explores, through the study of practical sources (account registers) of Dominican convents and monasteries in Tuscany, the effective application of this poverty, and its interpretation. The examination of these documents highlights the networks of relationships created by the exercise of poverty: economic and spiritual links that unite friars and nuns, communities of regulars and pious establishments (hospitals), religious and laity. Moreover, by crossing the point of view of friars and nuns, but also of observants and conventuals, this article highlights the variety of interpretations of the notion of poverty within the Dominican order, and its evolution.

Keywords: Voluntary Poverty, Order of Preachers, Tuscany, Account Register, nuns

La relation entre les ordres mendiants et l'économie a fait l’objet de nombreuses études, et donné lieu à des débats passionnés entre historiens, remettant ainsi en lumière les disputes médiévales sur cet épineux sujet. Au centre des débats, aujourd'hui comme hier, se trouve la question de la pauvreté. Qu'est-ce qu’être pauvre? Ou plutôt: que doit-on faire, ou être, pour être considéré comme tel? Entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle, la pauvreté “volontaire” est une nouveauté radicale parce qu’elle bouleverse les perspectives: être pauvre n'est plus seulement une fatalité, mais peut aussi être un choix de vie. Les religieux qui revendiquent cette pauvreté, en effet, ne se réfèrent pas à la pauvreté monastique traditionnelle, comprise avant tout comme une mise en commun des biens et un rejet des excès et de la propriété privée, mais embrassent volontairement et publiquement la condition des pauvres nécessiteux, c'est-à-dire ceux qui se trouvent dans une condition de précarité et de dépendance matérielle par rapport aux autres membres de la société. La pauvreté sans possession crée donc, contrairement au monachisme traditionnel, une nécessaire relation avec les autres, qu'elle prenne la forme de la mendicité, du travail ou, comme nous le verrons, de dispositifs plus complexes.

Cette nouvelle “pauvreté volontaire” n'aurait probablement pas pu naître dans une société où la notion de richesse, ou plutôt d'enrichissement, n'aurait pas elle aussi été profondément changée. Dans l'Ombrie de François, mais aussi dans la Toscane voisine ou plus généralement dans les nombreuses régions européennes où les activités commerciales et bancaires se développent rapidement à partir de la fin du XIIe siècle, les flux de richesse sont maîtrisés par certains groupes sociaux qui mettent en pratique de nouveaux types de contrats et de nouvelles techniques pour produire du profit. La pauvreté volontaire participe ainsi d'une nouvelle idée de la richesse, dans laquelle le mouvement de l'argent et la circulation des biens sont perçus comme des processus contrôlables ou, plus exactement, comme les objets d’une savante gestion. La richesse devient donc, dans un certain sens, également “volontaire”, puisqu'elle est ouvertement recherchée, produite, accumulée. C'est précisément pour cette raison que l'enrichissement est à cette époque de plus en plus associé au péché, dans l'esprit des ecclésiastiques mais aussi, et peut-être surtout, dans celui des pieux marchands: la richesse n'est plus seulement un don de Dieu, c’est aussi l'œuvre des hommes, qui la produisent et la recherchent activement. Ce processus induit une responsabilité sociale et morale que de nombreux marchands de la fin du Moyen Âge ressentent profondément.

“Il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d'une aiguille que pour un riche d'entrer dans le royaume des cieux” (Mt 19, 24). La pauvreté volontaire est donc un choix spirituel radical qui répond à un besoin à la fois personnel et collectif des sociétés, surtout urbaines, des XIIIe-XVe siècles. Si, en effet, d'une part, les pauvres volontaires, comme les pauvres involontaires, sont dans une condition de dépendance vis-à-vis des autres membres de la société, d'autre part, réciproquement, les “non-pauvres” dépendent d'eux pour leur salut: l'accumulation des biens doit en effet être compensée par une certaine redistribution, que ce soit par des aumônes, par la fondation d'hôpitaux, ou par diverses autres œuvres pieuses. L'importance des pauperes Christi dans les sociétés du Moyen Âge tardif est bien connue, et il convient ici de rappeler que la naissance des ordres dit “mendiants” doit être comprise comme l'une des manifestations de cette nouvelle vision de la pauvreté et de la richesse, dans un contexte de profonds changements économiques et sociaux. La multiplication, à partir du XIIe siècle, des fondations d'hôpitaux, grands et petits, destinés à accueillir les “pauvres” (c'est-à-dire les malades, les étrangers, les pauvres nécessiteux, etc.) en est une autre. Il en est de même de l'omniprésence, dans les testaments de la fin du Moyen Âge, des pauperes à qui les testateurs allouent d'importantes sommes d'argent et/ou de grandes quantités de pain ou de vêtements. L'exécution de ces testaments donnait lieu à de nombreuses distributions publiques, qui pouvaient concerner des centaines de pauperes, en échange d'autant de prières pour l'âme du défunt2.

Ce bref aperçu du cadre économique et religieux complexe de la fin du Moyen Âge - nous renvoyons le lecteur aux nombreuses études existant sur le sujet3 - nous a semblé nécessaire pour comprendre la conception de la pauvreté de la part des religieux toscans de la fin du Moyen Âge, issus pour la plupart de familles marchandes ou en tout cas bien insérées dans les circuits économiques de la ville, ainsi que pour mieux appréhender la façon dont leurs communautés se développaient, se mettaient en relation les unes avec les autres et - comme dans le cas des Observants - se définissaient parfois ouvertement comme des exemples à suivre. Au-delà des prescriptions des ordres religieux et des autorités ecclésiastiques, les communautés locales ont choisi des voies différentes, parfois opposées et contradictoires, mais toujours marquées par l'idée que la pauvreté était nécessaire à la sequela Christi.

La pauvreté volontaire n'a jamais été interprétée de la même manière par tous les ordres dits mendiants. Les franciscains sont sans doute ceux qui ont consacré le plus de temps et d'énergie à définir et à valoriser “leur” pauvreté, mais les dominicains durent également définir le sens et la pratique de leur pauvreté. Ils y parvinrent notamment grâce au caractère modifiable de leur législation, qui leur permit, contrairement aux franciscains, de mieux s'adapter aux conditions locales des différents couvents et aux changements de la société4. Le pragmatisme, dans ce domaine comme dans tant d'autres pour les dominicains, semble avoir été prépondérant: la pauvreté fut en effet considérée par les frères prêcheurs comme l'un des éléments, mais pas le seul, de la prédication cum verbo et exemplo. La signification et la pratique de la pauvreté étaient encore différentes dans les communautés féminines, y compris celles qui dépendaient directement de la cure spirituelle, et parfois même temporelle des frères prêcheurs ou mineurs. Il n’existait pas, au Moyen Âge, de religio féminine approuvée officiellement par l’Eglise et pouvant être qualifiée de “mendiante” - à l’exception notable des monastères, très peu nombreux, suivant la règle de sainte Claire et non celle d’Urbain IV. Tous les monastères de femmes avaient, comme d’ailleurs toutes les communautés monastiques, le droit de posséder des biens meubles et immeubles en commun5. Cela ne signifie pas que le problème de la pauvreté volontaire ne se soit pas posé pour les femmes: dans leur cas, cependant, la pauvreté vécue passait par d'autres formes de précarité qui n'impliquaient pas la pratique de la mendicité, qui leur était pratiquement interdite, et qui permettaient aux religieuses de ne pas enfreindre la clôture (même la pratique du travail productif, qui exigeait un échange constant avec le monde extérieur, était difficilement praticable pour les religieuses médiévales).

Les documents que nous allons ici étudier remontent à la période 1350-1450. Il s'agit de documents pratiques: registres de comptes, d'administration, de ricordi, provenant pour la plupart des communautés de frères dominicains et de moniales placées sous leur cure spirituelle à Pise et à Florence. Ils nous permettront de mieux comprendre ce qu'était, concrètement, la pauvreté au quotidien pour ces communautés. Le choix de la période d’étude est dicté non seulement par le fait que les documents de nature économique sont plus abondants à cette époque, mais aussi par l'intérêt particulier que présente, dans ces années-là, le développement de la première observance dominicaine, dont la Toscane fut l'un des foyers (Pise, Fiesole). Comment définir, ou redéfinir, la pauvreté dans un contexte réformiste?

L’angle de vue choisi permet de croiser l'étude des communautés masculines et féminines. Nous verrons ainsi qu'il existait, à l'époque considérée, des communautés de moniales qui pratiquaient une pauvreté rigoureuse à laquelle elles n'étaient pas tenues, si ce n'est par leur propre choix (San Domenico à Pise), et des communautés de frères (Santa Maria Novella à Florence) qui étaient visiblement “riches”, ce qui ne signifie pas automatiquement qu'elles ne respectaient pas les préceptes de la pauvreté commune et volontaire. La mise en évidence de ce paradoxe n'a pas pour but de souligner les mérites des premières et les “défauts” des seconds, comme l'ont fait en leur temps les réformateurs observants (Giovanni Dominici en tête), mais plutôt de montrer qu’il y avait place, dans l'ordre dominicain, pour une interprétation variable, parfois personnelle, en tout cas soumise à un renouvellement constant, de l'idée de pauvreté volontaire. Les communautés de frères et les communautés de moniales étaient, par ailleurs, liées entre elles - outre, bien sûr, le lien spirituel et institutionnel qui les unissait en vertu de la cura monialium - par un jeu complexe de redistribution des rentes de nombreuses propriétés qui, officiellement, appartenaient aux communautés féminines de l'Ordre. Ce ne sont pas en effet seulement les concepts relatifs à la richesse ou à la pauvreté qui sont ici en jeu, mais aussi les réalités juridico-économiques que constituent la propriété et la rente, deux notions fondamentales pour toute l'économie de la fin du Moyen Âge.

1. LA PAUVRETERELATIVEDU COUVENT DE SANTA MARIA NOVELLA DE FLORENCE

On a souvent souligné l’absence de documents de nature économique antérieurs au XVe siècle dans les archives des monastères mendiants. Dans le cas de Santa Maria Novella, la situation est relativement favorable: parmi les nombreux registres aujourd'hui conservés, pour partie aux Archives d'État de Florence6 et pour une autre partie dans les archives historiques du couvent, plusieurs exemplaires attestent l'existence d'une gestion économique articulée et complexe depuis le début du XIVe siècle7. Le cas de Santa Maria Novella, n’est pas, dans le contexte florentin, une exception: les fonds des couvents des frères carmes et servites sont tout aussi riches8.

Parmi les documents relatifs à la gestion économique du couvent de Santa Maria Novella, les plus importants sont les registres mis en évidence par le père Panella comme étant des livres de ricordanze, utilisés par les économes du couvent vers 1340-1440 (Panella, 1955). Panella les définit comme des “promemoria des échéances des titres de crédit” - titres qui étaient, toujours selon Panella, surtout des pictantie, c'est-à-dire des dispositions pieuses récurrentes, établies principalement par des legs testamentaires. Mais ce n'est pas tout: les registres contiennent aussi des échéances de loyers, d’intérêts sur les titres de la dette publique, des remboursements d'impôts, et même des paiements en espèces des cens dus par les tenanciers du contado. Ces ricordanze avaient donc pour fonction de rappeler à l’économe du couvent quelles étaient, chaque mois, les sommes à percevoir et/ou à réclamer aux différents “débiteurs” du couvent. Ces registres permettaient en outre de regrouper les copies de certains documents importants (testaments, ventes, actes divers) non immédiatement accessibles. A la fois livres de ricordi et libri debitorum, ces registres étaient associés à la rédaction de livres de comptes proprement dits. Peu d’entre eux nous sont parvenus.

On connaît l’existence de quatre livres pour notre période - je suis toujours les contributions du p. Panella. L’un d’entre eux a été perdu: celui de frère Giovanni degl'Infangati, écrit dans les années 1340 (Panella, 1955, vol. 1 p. 68); un autre est celui que le p. Panella a étudié, le Liber Novus, rédigé et utilisé dans la seconde moitié du XIVe siècle, conservé aux archives du couvent de Santa Maria Novella; les deux derniers sont le liber recordationum alius, rédigé entre la fin du XIVe et le début du XVe siècle, et le liber recordationum de frère Bartolomeo da Monterappoli, utilisé dans le deuxième quart du XVe siècle. Ce dernier peut probablement être identifié avec le document n° 67 du fonds “appendice” de l'ASF CRSGF 102. Rédigé par Bartolomeo da Monterappoli9, ce document est différent du Liber novus, puisqu’il s'agit d'un livre ouvert: le frère comptable y inscrivait régulièrement les paiements effectués, année après année. Utilisé entre 1418 et la fin des années 1430, le registre 67 recense les nouvelles rentes, c'est-à-dire celles qui se sont ajoutées, au cours des années 1410, à celles qui existaient déjà, qu'il s'agisse de dispositions testamentaires pieuses (la majorité des mentions), de loyers ou encore des revenus de titres de la dette publique10. Les renvois nombreux prouvent que différents livres étaient utilisés simultanément, dont un liber novus (probablement celui qui est aujourd’hui à Santa Maria Novella), un livre ancien (celui d'Infangati?), un liber annualium et un “livre de Fra Zanobi” (peut-être Fra Zanobi Guasconi11). Comme le Liber Novus, le registre 67 est organisé sur la base d'un calendrier: les ricordi concernant les échéances des rentes sont organisés par mois, révélant une utilisation continue du livre par le frère comptable, qui pouvait ainsi facilement suivre l'évolution des paiements des différents “débiteurs”. Les dates d'échéance des pictantie, des anniversaires, des intérêts des obligations émises par la Commune et d’autres paiements divers se succèdent, avec une référence possible à d'autres livres où ces éléments sont mentionnés, mais aussi directement à des actes notariés conservés “dans le dépôt du couvent”12. Beaucoup de ces rentes sont prévues pour durer in perpetuum, tandis que d'autres ont un terme (par exemple un legs valable 10 ans, ou un bail qui prend fin avec le décès du locataire); dans ce dernier cas, le compte (la liste des paiements), est cancellé par le frère comptable, ou du moins marqué comme “terminé”13. On trouve également, dans les feuillets du registre 67, la mentions d’échéances futures, probablement liées à des legs grevés d’une clause d'usufruit ad vitam: “A noter qu'après le décès de sœur Nastasia, aujourd'hui abbesse de Sancta Lucia de la rue San Gallo, nous recevrons les intérêts de 120 florins”14. De fait, de nombreux comptes commencent par la date de décès d'un testateur, ou du légataire d’un usufruit. La deuxième partie du document15 énumère, en revanche, comme le ferait un terrier classique, les différentes possessions du couvent, les paiements effectués par les tenanciers des biens du couvent, situés en ville et dans le contado. Ces pages marquent probablement le début d’une évolution qui aboutira, en 1449, à la rédaction du grand livre des possessions du couvent (ASF, CRSGF, 102, n°76).

Il faut souligner l’originalité de ces livres de ricordi, ou libri debitorum, qui sont structurés sur la base du calendrier, et non, comme dans le cas des terriers ou campioni, sur la base des biens eux-mêmes et de leur localisation. Ils réunissent, en une même unité matérielle, des revenus pieux (anniversaires et fêtes) et des rentes “profanes” (loyers et intérêts de titres divers). Dans le Liber Novus comme dans le registre 67, les premières pages sont occupées par un calendrier, précisément là où, dans les “grands livres” des autres monastères, est placée la liste des possessions foncières et immobilières (Duval, 2018a, pp. 85-104). Ces registres permettent donc non seulement de se souvenir des différentes échéances de chaque mois, mais aussi d'avoir une idée de la variation des revenus selon les mois (certains mois comportent plus de revenus, en raison des différentes fêtes qui y sont célébrées), et donc, probablement, de prévoir les dépenses en fonction des revenus attendus. Il s'agit donc de registres qui énumèrent les rentes non pas à partir de l'espace, c'est-à-dire des différents territoires du contado, comme le font les Campioni di terre, mais à partir du temps, c'est-à-dire des différents mois au cours desquels expirent les termes des rentes. L'architecture de ces registres révèle, donc, une conception de l'économie interne du couvent centrée sur les rentes et non sur les possessions.

Le refus de la possession en tant que telle est sans aucun doute l'un des éléments clés de la pauvreté volontaire. L'économie conventuelle, par conséquent, s'articule autour de l'accumulation de diverses rentes qui pouvaient même – certes, non sans exagération – être considérées comme des “aumônes perpétuelles” (Bertrand, 2004, pp. 153-154). Cependant, la structure de ces registres révèle l'absence d'un autre élément central de la pauvreté volontaire, à savoir la précarité, sans laquelle la condition de “nécessiteux” n'est pas vraiment accomplie. Les revenus, articulés autour d'un calendrier cyclique - à savoir le calendrier liturgique - assurent une stabilité matérielle d'où provient la richesse effective du couvent de Santa Maria Novella. Formellement, toutefois, les frères de Santa Maria Novella étaient bien dépendants d'autres personnes et d'autres entités: ils dépendaient des “vrais” propriétaires des biens qui leur fournissaient les rentes répertoriées dans nos registres - à l'exception des rentes recensées séparément dans le registre 67, qui provenaient apparemment de certains biens qui, pour une raison ou une autre (ils sont tous répertoriés comme des dons), étaient la propriété exclusive du couvent.

La possession de rentes stables exigeait, en effet, que le propriétaire du bien dont provenaient ces rentes soit lié aux frères par un accord. Ces registres de ricordanze ainsi que de plusieurs autres documents de l'époque (dont les nombreux actes conservés dans les recueils de charte – le diplomatico - de Santa Maria Novella16) mettent donc en évidence l'importance fondamentale, pour l'économie du couvent, des intermédiaires. Les testateurs désireux de s'assurer les prières pro anima des frères ne pouvaient cependant pas leur attribuer directement la propriété des biens sur lesquels ils réclamaient les rentes nécessaires à la célébration de leur anniversaire: ils avaient donc l'habitude de désigner d'autres légataires (généralement des hôpitaux ou des monastères) chargés de redistribuer chaque année une partie (souvent presque la totalité) des revenus générés par les biens en question. Ce mécanisme était donc à l’origine d’une relation particulière tissée entre la communauté des frères et un certain nombre d’autres institutions, religieuses ou non, de la ville. On voit ainsi apparaître comme “débiteurs”, dans le registre n° 67, la Commune de Florence, l'Arte del Cambio, l'Arte della Lana, l'Ospedale Santa Maria Nuova… Les rentes, qui permettaient de créer des liens tant avec la famille des testateurs qu'avec les institutions légataires chargées de redistribuer au couvent une partie des revenus générés par les biens fonciers et immobiliers qui leur étaient légués, contribuaient donc fortement à l’insertion des couvents de frères dans les sociétés urbaines dans lesquelles ils vivaient. Ces relations tissées entre les couvents, les institutions pieuses et les familles permettaient la circulation, non seulement de sommes d’argent, mais aussi des prières et des grâces spirituelles.

Notons que la séparation entre la propriété formelle et la rente dans les testaments n'est nullement un système propre aux legs adressés aux couvents de frères mendiants. Lorsque les testateurs ou les donateurs toscans envisageaient l'octroi d'une rente aux frères, avec en corollaire la concession de la propriété éminente du bien à une autre institution, ils ne faisaient que reproduire le système de l'usufruit, très courant dans les testaments toscans des XIVe-XVe siècles. L'octroi de l'usufruit sans propriété concernait principalement des personnes à qui il était légalement impossible, ou très difficile, d'accorder la pleine propriété d'un bien17 – tout comme il était impossible, canoniquement, de léguer des propriétés aux mendiants. Ces personnes étaient généralement des femmes (mères, épouses) liées au testateur, mais il pouvait également s'agir de personnes nécessiteuses extérieures à la famille. En outre, ces dispositions d'usufruit étaient souvent garanties par une clause de défense qui désignait une institution pieuse, un monastère ou un hôpital comme légataire (voire comme héritier) substitutif de la propriété en cas de non respect du droit à l’usufruit par le premier légataire ou héritier désigné18. Ce système de garantie des usufruits a donc également participé, d'une manière très similaire à ce que nous venons de décrire à propos des frères mendiants, à la construction d'un vaste réseau de relations juridico-économico-spirituelles entre les communautés religieuses et les citoyens. En fin de compte, les rentes acquises par les frères, qui étaient dans presque tous les cas parvenues au couvent à partir d'une donation pieuse, étaient, plus que des “aumônes perpétuelles”, des usufruits perpétuels19.

C'est peut-être au XIVe siècle que ce système de rentes se développe le plus, du moins en ce qui concerne les couvents de prédicateurs toscans. A tel point qu'à Florence et à Pise, les frères prirent rapidement l'habitude de tout contrôler en leur faveur, c'est-à-dire de faire de la propriété des biens en question une véritable fiction juridique: c'est ce qui se produisait notamment lorsque des biens rentables étaient liés ou attribués aux communautés de moniales dont les frères avaient le contrôle spirituel et, de fait, temporel, ou lorsque certains biens étaient officiellement enregistrés au nom de certains de leurs oblats ou pénitents20.

2. LES LIENS ECONOMIQUES ENTRE COUVENTS ET MONASTERES DOMINICAINS

Bien que les frères prêcheurs ne fussent officiellement liés aux moniales dominicaines que pour leur cure spirituelle, et non pour leur gouvernement temporel, les situations variaient beaucoup d'une région à l'autre, et même d'une communauté à l'autre. Dans le cas des monastères organisés sur le modèle de Prouilhe, c'est-à-dire des monastères auxquels une petite communauté de frères, vivant sur place, était rattachée, le gouvernement temporel était entièrement à la charge de ces frères21. Dans les monastères “classiques”, c'est-à-dire sans frères résidents (à l'exception, dans certains cas, d'un confesseur), le gouvernement temporel était entre les mains des moniales ; cependant, les frères étaient souvent aussi les procureurs (ou syndics) de ces monastères et pouvaient même, comme nous le verrons dans le cas de Florence, exercer un contrôle régulier sur les comptes de la communauté.

La question du lien économique entre les frères et les moniales dominicains n'a, pour lors, que rarement fait l’objet d’études. On sait, par exemple, que le patrimoine du grand monastère de Prouilhe a servi de “réserve” de fonds pour l'Ordre, notamment pour les frères de Toulouse qui utilisèrent une partie des richesses des moniales pour construire leur église22. Quant au grand monastère d'Aix-en-Provence, fondé en 1298 sur le modèle de Prouilhe par le roi Charles II d'Anjou, il avait une fonction similaire pour le couvent local (Saint-Maximin). On a conservé, dans le cas d’Aix-en-Provence, les cahiers dans lesquels les prieurs du monastère rendaient compte aux provinciaux de leur gestion du patrimoine des moniales. Dans les cas cités, la gestion des biens des monastères était donc contrôlée au niveau du gouvernement central de l’Ordre dominicain23.

En Toscane également, bien que les monastères ne fussent pas “prouillans”, les frères et les moniales étaient liés entre eux par la gestion du patrimoine. A Florence, le couvent des frères de Santa Maria Novella était étroitement lié au monastère de San Domenico nel Maglio. Les frères y étaient chargés non seulement de la direction spirituelle des moniales, mais aussi d'une partie de la gestion de leurs biens: jusqu'à la fin des années 1350, en effet, les procureurs, mais aussi les comptables ou économes de la communauté de San Domenico étaient les frères de Santa Maria Novella (Duval, 2018a, p. 17). Les documents économiques de la communauté, aujourd'hui conservés aux Archives d'État de Florence, ont été rédigés par les frères, dont les comptes étaient vérifiés une fois par an par le prieur de Santa Maria Novella pendant les années 1330-135024. Les frères ont ensuite peu à peu abandonné la fonction de comptables, occupée de manière ininterrompue par les moniales à partir des années 137025. Dans la deuxième moitié du XIVe siècle, les moniales avaient donc une gestion beaucoup plus autonome de leur propre économie, bien que le prieur de Santa Maria Novella ait continué à contrôler périodiquement les comptes du monastère26.

De 1339 à 1341, l’économe (borsaio) du monastère de San Domenico nel Maglio était Giovanni degl’Infangati (ASF 108, n°51, c. 16v ; 118v, 121v), l'auteur du livre des ricordanze perdu mentionné plus haut, également rédigé dans ces années-là. Fra Giovanni était donc à la fois le frère économe du couvent de Santa Maria Novella et celui de San Domenico nel Maglio. Son nom est aussi mentionné régulièrement dans les actes sur parchemin issus des archives du monastère, dont le contenu nous révèle la complexité des liens économiques entre les deux communautés. Une donation de 1339 nous montre par exemple comment l'attribution d'une propriété “fictive” (c’est-à-dire une propriété sans les revenus afférents) de biens aux religieuses pouvait entraîner certaines irrégularités, voire favoriser les infractions au principe de la communauté de biens de la part des frères27. L’acte en question précise en effet que les religieuses, donataires du bien, auraient cependant l’obligation, du vivant d'un certain frère Franco de Santa Maria Novella, de lui verser un muid de blé chaque année en août pour ses besoins personnels28. L'acte étant acéphale, on ne peut savoir si la donation a été faite par une autre personne, ou bien par fra Franco lui-même au moment de sa profession religieuse. Le procureur des religieuses, à qui les biens sont formellement remis, n'est autre que Giovanni degl'Infangati.

Le même Giovanni fut l'architecte d'une opération d’une toute autre ampleur, sur laquelle nous disposons de nombreux documents: à savoir la fondation de l'hôpital dominicain de Montelupo, destiné à la fois à l’usage des frères prêcheurs de passage et à l’accueil des pauperes Christi. L’édification de cet hôpital résulte de la volonté d’un fils du couvent de Santa Maria Novella, l'archevêque de Pise Simone Saltarelli, qui versa l'argent nécessaire à ses ex -confrères florentins entre 1339 et 134229. Le document comportant le plus d’informations sur ce sujet se trouve dans le fonds du diplomatico de Santa Maria Novella: il s'agit de l'attestation donné devant un notaire par le prieur de Santa Maria Novella, Domenico Ferraccini, et ses frères réunis en chapitre, de l'exécution des dernières volontés de Simone Saltarelli, le 16 septembre 134130. Cette attestation détaille la manière dont la fondation de l'hospice a été réalisée, selon la volonté de Saltarelli: l'argent donné aux frères par l'archevêque a été investi dans différents domaines à Montelupo et à Gavignano, certains étant destinés à abriter l'hôpital des frères et celui des pauvres, d'autres à produire les revenus nécessaires à leur fonctionnement. L'attestation, ainsi que les actes de vente également conservés dans le diplomatico de Santa Maria Novella31, indiquent que toutes ces propriétés, d'une valeur totale de 1100 florins d'or, ont été officiellement enregistrées au nom des moniales de San Domenico nel Maglio, qui étaient tenues de remettre chaque année l'intégralité des revenus de ces biens aux frères de Santa Maria Novella. Ces revenus devaient à leur tour être dépensés, en plus de la gestion de l'hospice lui-même, dans diverses pictantie prescrites par le testament de l'archevêque. Saltarelli avait accordé aux religieuses une portion dérisoire de ces revenus, soit dix lires par an, pour une autre pictantia. Malheureusement, même si le fonds du monastère de San Domenico in Maglio conserve encore une belle série de livres de comptes datant des XIVe-XVe siècles, les mentions de l'hôpital de Montelupo y sont rares, et ne permettent pas de bien comprendre comment s'opérait cette redistribution des loyers en faveur de l'hôpital32.

Les frères dominicains pisans étaient eux aussi étroitement liés aux communautés de moniales locales, et nous retrouvons à Pise les mêmes mécanismes de contrôle de l’économie des religieuses et de propriété fictive. Deux communautés de moniales étaient officiellement placées sous la responsabilité des frères du couvent pisan de Santa Caterina au XIVe siècle: Santa Croce in Fossabanda, un grand monastère fondé au XIIIe siècle à la périphérie de la ville, et San Silvestro, un monastère fondé en 1332 par quelques religieuses séparées de Santa Croce. Le monastère de San Domenico, dont nous parlerons plus tard, a été à son tour fondé en 1385 par un autre petit groupe de religieuses provenant également de Santa Croce.

La Chronica écrite entre la fin du XIVe et le début du XVe siècle par un frère de Santa Caterina, Domenico da Peccioli, probablement à partir des souvenirs écrits par ses prédécesseurs, mentionne précisément les postes occupés par ses confrères auprès des moniales, comme dans le cas, par exemple, de Ruggero Bambagia, mort en 1348: …[fuit] confessor acceptus, reverenda valde persona, custos longo tempore monialium Sanctae Crucis, ubi continue morabatur, et ibi dimisit corpus (Bonaini, 1845, p. 567). Le texte donne également un compte-rendu très précis du partage des biens entre les deux communautés de Santa Croce et de San Silvestro, qui eut lieu grâce à un accord établi par les frères en 1337 (Bonaini, 1845, p. 590). Un accord du même type fut conclu entre les monastères florentins de San Iacopo a Ripoli et San Domenico nel Maglio lors de la séparation des deux communautés en 1298, et entre les monastères de San Pier Martire et de San Iacopo a Ripoli en 1458 (Panella, 1987, pp. 227-325), pour les mêmes raisons, et toujours sous le contrôle des frères.

Dans les quelques registres du XIVe siècle provenant des monastères de Santa Croce et de San Silvestro qui sont conservés aujourd'hui aux Archives d'État de Pise, on ne trouve cependant aucune trace des frères33. Les deux communautés étaient pourtant étroitement liées au couvent de Santa Caterina, comme le montrent les différents testaments du même siècle dans lesquels apparaît une clause récurrente dont le fonctionnement nous rappelle la donation de Saltarelli aux frères de Santa Maria Novella. Dans les testaments pisans de la seconde moitié du XIVe siècle34, en effet, les monastères de San Silvestro et de Santa Croce apparaissent souvent comme légataires de terres. Les testateurs et testatrices confient toutefois aux frères la célébration de leur anniversaire: les moniales, en revanche, ne sont “que” les détentrices officielles des biens légués, dont elles sont tenues de reverser la majeure partie des revenus aux frères. Les proportions sont d’ordinaires de l’ordre de six huitièmes, ou même neuf dixièmes des revenus annuels des biens légués qui doivent être versés par les sœurs aux frères de Santa Caterina35. Ces “usufruits perpétuels” dont nous avons parlé précédemment utilisaient donc les monastères de moniales comme “prête-noms” pour des frères qui, canoniquement, n'avaient pas le droit de posséder ces terres mais qui, néanmoins, se voyaient accorder, du moins en pratique, la possibilité de bénéficier de rentes, surtout si elles étaient accordées pro anima.

3. LA PAUVRETE COMME CHOIX: SAN DOMENICO DE PISE

La perception de rentes issues de legs pro anima peut-elle être considérée comme une infraction à la pauvreté volontaire? N'est-ce pas, au contraire, la preuve d'un lien fort entre les frères et la société à laquelle ils appartenaient, et à laquelle ils apportaient une aide spirituelle très appréciée? L'utilisation des monastères de moniales par les frères comme “réserves” de biens qu'ils ne pouvaient posséder eux-mêmes ne remonte-t-elle pas, en un certain sens, à la fondation même de Prouilhe? Ces questions nous font prendre conscience que le point de vue des Observants, que nous allons maintenant étudier en guise de conclusion, est symptomatique d'un changement d'époque et de paradigmes, bien plus que l'effet mécanique d'un déclin des ordres religieux. La richesse réelle de certains monastères, comme celui de Santa Maria Novella, conduit toutefois certains religieux à un désir de pauvreté authentique à la fin du XIVe siècle.

Restons donc à Pise pour notre dernière étape. Restons également avec Domenico da Peccioli, auteur de la Chronica du couvent de Santa Caterina et, de plus, confesseur et guide spirituel des moniales qui fondèrent le monastère observant de San Domenico en 1385 (Duval, 2015). En 1387, les moniales obtinrent du pape Urbain VI une bulle spéciale réglementant la stricte clôture dans laquelle elles avaient choisi de vivre et qui était désormais protégée, en cas d'infraction par des personnes extérieures à la communauté, par une peine d'excommunication pontificale ipso facto. La stricte clôture est un élément emblématique de la réforme des religieuses pisanes. La pauvreté choisie est un élément bien moins connu, alors que ce fut aussi un choix radical de la part de ces religieuses, dont la prieure était la fille du seigneur de Pise, Chiara Gambacorta.

La Vie de Chiara Gambacorta, probablement rédigée dans les années 1450, ne mentionne pas ce choix de la pauvreté, sinon de façon indirecte et ambigüe (c’est ici l’un des hagiographes qui parle):

[La bienheureuse Claire] ne voulut jamais rien posséder, par amour de la sainte pauvreté, de telle manière que souvent j’ai entendu dire que quand elle entendait cette phrase de Salomon: “Divitias et paupertates ne dederis michi sed tantum victui meo tribue necessaria”, elle disait qu’elle se trouvait en désaccord avec lui, puisqu’il lui semblait qu’on ne pouvait pas parler de pauvreté si l’on ne se trouvait pas dans un état de nécessité. Mais par la suite, quand elle eut sous sa responsabilité une grande famille [la communauté] et les malades du monastère, alors, se rappelant cette phrase, elle disait qu’elle se trouvait désormais en accord avec elle36.

Nous trouvons dans ce passage - peut-être réécrit et corrigé plusieurs fois - les questions essentielles sur la pauvreté volontaire: est-on pauvre quand on possède le minimum nécessaire pour vivre? Ou seulement lorsqu'on est dans un état de besoin et de dépendance? Une communauté, surtout une communauté de femmes, au sein de laquelle toutes ne bénéficient évidemment pas du même état de santé, peut-elle prendre en conscience le risque de la précarité? Sainte Claire et les Clarisses furent, elles aussi, confrontées à ces problématiques, et la réponse à cette dernière question, de la part des papes du XIIIe siècle, ainsi que des frères observants, du XVe siècle, a toujours été clairement négative37: non, le risque de la précarité ne peut pas être pris par les religieuses. Chiara Gambacorta et ses compagnes choisirent toutefois de vivre non seulement dans le cadre de la stricte clôture, mais aussi dans un état de pauvreté particulier, caractérisé par le rejet de la possession et de la stabilité économique.

La Vita di Chiara Gambacorta, écrite par les confesseurs du monastère et destinée à servir de modèle aux novices de la communauté, ne nous en dit pas plus: il s'agit apparemment d'un sujet sensible, qui a probablement vu les religieuses de la première génération s'opposer aux novices et aux confesseurs. Les documents comptables du monastère sont beaucoup plus prolixes et permettent de dresser un tableau économique détaillé. Bien qu'il y ait eu, dès la fondation du monastère, un vicaire en charge à la fois du spirituel et d'une partie du temporel (en tant que procureur) du monastère, les prieures et les moniales de Saint-Dominique ont toujours tenu le gouvernement économique de leur communauté fermement entre leurs mains. Le pouvoir des prieures et de leurs assistantes (vicaires et/ou sous-prieures) était solide, et tous les documents qui nous sont parvenus ont été rédigés à leur demande ou, même, bien souvent, de leur propre main38.

Malheureusement, il ne reste pas de documents comptables remontant aux premiers temps de la communauté (c'est-à-dire l'époque des trois premières prieures, de 1385 à 143039); nous disposons cependant d'un beau registre de comptes (recettes et dépenses), commencé en août 1429 (1430 à Pise) et tenu presque quotidiennement jusqu'en février 148040. Son contenu nous renseigne sur de nombreux détails de la vie quotidienne des religieuses (nourriture, vêtements, etc.). Entièrement rédigé en langue vernaculaire, il constitue donc aussi une source très intéressante d'un point de vue linguistique. Toutefois, c'est ici l'organisation économique de la communauté telle qu’elle transparaît dans ces pages qui nous intéresse. Nous y découvrons que les religieuses, pendant une bonne partie du XVe siècle, ont survécu grâce à un système de petits emprunts, accordés presque quotidiennement à la communauté par un cercle assez large de personnes, et destinés à la fois à acheter les choses immédiatement nécessaires à la vie du couvent (nourriture, bois de chauffage, etc.) et à soutenir des dépenses imprévues et plus importantes, comme celles qui étaient induites par la réparation des bâtiments.

Les pages du livre de comptes montrent clairement le cercle des fidèles du monastère, un réseau où l'on trouve principalement des laïcs, hommes et femmes, artisans ou marchands. Les prêts les plus importants provenaient des familles des religieuses, mais nous voyons également de nombreuses personnes modestes accorder aux religieuses de nombreux petits “prêts” ou “aumônes” (limosine). Au sein de ce système relationnel complexe, les oblats, hommes et femmes qui s’étaient “donnés” au monastère et dont beaucoup vivaient à côté des religieuses (sans toutefois pouvoir entrer dans la clôture) jouaient un rôle de premier plan (Duval, 2015, pp. 524-526).

Dans ce registre de compte, les prêts, les dons et les revenus “normaux” (c’est-à-dire provenant des rentes des moniales, issues de propriétés foncières ou de titres financiers) sont distingués. On peut ainsi en tirer le bilan suivant:

Tableau 1. Composition des recettes monétaires de la communauté de San Domenico de Pise41

Année

Total des recettes

Dont prêts

Dont dons

1430

342 F

256 F

55 F

1440

369 F

110 F

87 F

1450

348 F

44 F

79 F

Il existe également des différences entre plusieurs types de prêts, puisque certains sont signalés comme étant librement accordés par des fidèles du monastère (denaro prestato da…), tandis que d'autres sont décrits comme ayant été demandés, souvent par la prieure elle-même ou bien par les oblats (accattato dalla priora…). Un troisième type de prêt était accordé aux religieuses, le prêt sur gage: dans ce cas, elles n'hésitaient pas à mettre en gage les seuls objets précieux dont elles disposaient, à savoir les objets liturgiques42. Les différents prêts étaient ensuite remboursés de manière irrégulière - s'ils l'étaient - pendant les périodes où les religieuses bénéficiaient du paiement de leurs revenus, qui se composaient principalement, pendant toute la première moitié du XVe siècle, des intérêts des nombreux luoghi de la banque publique génoise du Banco di S Giorgio. Ceux-ci avaient été acquis par la communauté grâce à l’arrivée d’un important groupe de religieuses génoises. Ainsi, en cas de grosse rentrée d'argent, c'est-à-dire lorsque les paiements des luoghi parvenaient au monastère, les moniales responsables des comptes remboursaient les prêts les plus importants. Elles calculaient, en particulier, la somme des différents prêts accordés au cours de l'année par une même personne - un système qui suppose l'existence de registres, aujourd'hui perdus, dans lesquels étaient répertoriés les comptes individuels des différentes personnes et institutions qui étaient en relation avec la communauté de San Domenico.

Les comptes révèlent ainsi que les moniales pisanes, jusque dans les années 1450, vivaient pour ainsi dire “au jour le jour”. La relative parité des budgets annuels est remarquable (tableau 2), et démontre l'efficacité de ce système, fondé sur l'existence, autour des religieuses, d'un solide réseau de fidèles laïcs (parents des religieuses, oblats, ou simples laïcs désireux de les aider), et sur l'utilisation de l'argent comme “liquidité”, c'est-à-dire comme valeur circulante – un système d’autant plus pertinent que les principales rentes des religieuses étaient alors, nous l’avons vu, issues des intérêts annuels des titres financiers du Banco de San Giorgio.

Tableau 2: La balance budgétaire du monastère San Domenico (en Florins) (Duval, 2015, p. 432):

Année

Total des recettes

Total des dépenses

1430

342 F

470 F

1440

369 F

370 F

1450

348 F

343 F

Il n’est pas possible de savoir dans quelle mesure ce système économique a pu être déterminé par la très grave crise qui sévissait alors à Pise, et par l’insuffisance de la dotation initiale du monastère, due à l'assassinat, en 1392, de leur patron et fondateur, Pietro Gambacorta, qui ne put jamais compléter ses donations à la communauté de sa fille Chiara. Reste le fait qu’il n’y eut pas, avant la seconde moitié du XVe siècle, de tentative de rationaliser la gestion des biens du monastère. Et si, comme l'attestent tant la Vie de Chiara Gambacorta que certains documents de nature fiscale43, les premières années de la communauté furent vraiment difficiles, par la suite les moniales ne manquèrent de rien, précisément parce que chaque besoin était, semble-t-il, immédiatement satisfait par une aumône ou un prêt accordé par certains fidèles du monastère. Domenico da Peccioli, qui, outre la Chronica di Santa Caterina, a probablement aussi écrit le petit nécrologe des moniales de San Domenico, écrit, vers 1403, ceci au sujet de la première prieure, Filippa da Vico: Fuit totius visceribus caritatis, de Deo et in Deo confisa, quia temporalium necessitatibus spem in alium non habere [se dicebat]. […] Paupertate[m] super omnia diligens, Christum pauperem […] indefesso calle sequi totis nisibus sequebatur […]44.

L’hagiographe de Chiara Gambacorta décrit, lui, de la manière suivante son long priorat (1395-1419)

On aurait dit que le Seigneur ne supportait pas de voir sa servante dans l’affliction, c’est pourquoi il lui venait toujours en aide immédiatement, soit par une aumône [qui parvenait au monastère] soit par quelque autre moyen, de sorte qu’elle était toujours exaucée45.

“Ne vous inquiétez donc pas du lendemain” (Mt 6, 34): suivant ainsi l’Evangile, les moniales pisanes ne firent jamais aucun investissement sur leurs terres jusqu’aux années 1460. A partir de ce moment-là, on voit peu à peu disparaître, dans les pages du registre de comptes, tout le système des prêts. L’étude du Campione di beni, recensement des possessions des moniales rédigé en 1424 mais resté en usage jusqu’à son remplacement en 1491, révèle en outre que des transformations importantes dans la gestion des terres intervinrent dans le contado à partir des années 1460, et plus encore dans la décennie suivante, quand les terres dispersées furent progressivement regroupées en poderi afin d’y appliquer, sur le modèle florentin, le mode d’exploitation de la mezzadria. San Domenico devint ainsi peu à peu un monastère “normal”, alors que les moniales des premières générations avaient désormais disparu (Duval, 2015, p. 324-330, 426-438).

La pauvreté particulière du monastère de San Domenico apparaît originale46: les moniales y pratiquaient une mendicité respectueuse de la stricte clôture ; une partie des aumônes y était assimilée à des prêts, qui étaient, de fait, partiellement remboursés, en fonction des revenus effectifs de la communauté. La clôture jouait donc, à San Domenico, un rôle de séparation, sans provoquer toutefois l'isolement des moniales, qui se trouvaient en fait au centre d'un réseau économique et spirituel très actif. Ce système original fut progressivement abandonné et, bien que les documents ne nous permettent pas d'établir avec précision l’identité des responsables de ce changement, la période où il advint coïncide avec le moment où la communauté passa sous le contrôle de la Congrégation observante de Lombardie, perdant par conséquent une grande part de son autonomie. Il est donc légitime de supposer que les responsables de la congrégation ne voyaient pas d’un bon œil cette pratique de la pauvreté dans la clôture.

A la même époque, les observants franciscains provoquèrent l’abandon, au sein des divers courants de réforme qui traversaient alors l’ordre de sainte Claire, du projet de revenir à la sainte pauvreté tant aimée par la fondatrice. Ainsi, paradoxalement, c’est bien la règle d’Urbain IV, qui autorisait la possession monastique classique, que les frères observants tels Jean de Capistran décidèrent de conserver, allant ainsi contre les initiatives des moniales réformatrices elles-mêmes (Roest, 2018). Certaines congrégations de clarisses toutefois, et en particulier les Colettines menée par sainte Colette de Corbie, réussirent à restaurer la règle de leur fondatrice, et avec elle le respect de la pauvreté - qui n'était cependant pas celle du XIIIe siècle (López, 1994). Je n'ai pas eu l'occasion de lire, s'il en existe, les registres de comptes des premiers monastères de Clarisses observantes de la première moitié du XVe siècle. Je ne serais pas surprise d'y trouver un système d’économie quotidienne ressemblant à celui de saint Dominique de Pise, dont la fondatrice, Chiara Gambacorta, avait pris le voile dans un monastère de Clarisses (San Martino à Pise), et adopté, en religion, le nom de la sainte d’Assise.

C'est précisément dans ces années-là, c’est-à-dire au début du XVe siècle, que Giovanni Dominici fonda la première communauté dominicaine observante de Florence, séparée de Santa Maria Novella, à savoir le couvent de San Domenico di Fiesole. De retour de Venise où il avait initié, avec Tommaso Caffarini de Sienne, et avec l'aide de plusieurs frères venus de toute l'Italie, dont plusieurs Pisans (Duval, 2016, p. 107; Centi e Belloni, 2009), l'observance dominicaine italienne, Dominici se consacra dès lors au développement de la réforme en Toscane. Il connaissait personnellement Chiara Gambacorta et ses sœurs, qui sont souvent mentionnées dans ses lettres à ses filles spirituelles du monastère vénitien du Corpus Christi (Casella e Pozzi, 1969). Il ne semble pas, cependant, qu'il ait eu une réelle influence sur la gestion du monastère pisan: la question économique ne figure pas parmi les sujets qu'il aborde dans ses lettres aux moniales vénitiennes, où il privilégie plutôt le thème de la parfaite obéissance. De fait, plus généralement, il ne semble pas que la pauvreté en tant que telle ait été un thème central pour les Observants: elle ne l'était que dans la mesure où l'obéissance à la règle exigeait l’observance du vœu de pauvreté. Celle-ci était principalement perçue comme le respect d’une vraie communauté de biens, trop souvent enfreinte dans les puissants monastères urbains comme celui de Santa Maria Novella. Il n'y a pas, d’ailleurs, chez les dominicains observants, de véritable réflexion sur le sens de la pauvreté, et les réformateurs ne rejettent ni les rentes ni la propriété commune, qui est officiellement autorisée pour les Dominicains en 1475 (Röhrkasten, 2009, pp. 211-245). L'expérience de pauvreté cloîtrée initiée par Chiara Gambacorta et ses sœurs fut abandonnée. Il faut toutefois souligner, en guise de conclusion, que la “pauvreté volontaire” des religieuses pisanes était elle aussi typique de son époque. Inspirée aux idéaux franciscains, elle n’était cependant pas dictée par l'idée de “vivre comme les pauvres et parmi les pauvres”, mais bien par le précepte évangélique de l’abandon à la Providence divine. Plus généralement, les grands réformateurs du XVe siècle parlent rarement de la pauvreté en tant que telle, ou du moins, ils abordent ce sujet d'une manière très différente par rapport aux siècles précédents. Leurs écrits adressés aux laïcs insistent sur la nécessité de pratiquer des échanges équitables et d'inventer de nouvelles formes d'assistance dont les pauvres sont aussi partie prenante. Cette nouvelle approche de l’aide aux pauvres se concrétisa d’abord par la pratique d’une assistance active, comme dans le cas de la Compagnie de Saint-Martin à Florence, dédiée aux pauvres dits (dès la fin du XIVe siècle) “honteux”, puis dans les Monts de Piété, promus par les observants franciscains (Duval, 2021, pp. 19-48). Ainsi, de Bernardin de Sienne à Antonin de Florence, les textes observants condamnent sévèrement l'usure, mais encouragent l'activité mercantile. L'ombre du péché s'est donc progressivement éloignée des marchands et le sens du choix volontaire de la pauvreté a changé.

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_______________________________

1 Université Clermont Auvergne. Maison des Sciences de l’Homme 4, Rue Ledru 63057. Clermont-Ferrand Cedex. Mail: Sylvie.duval@uca.fr

2 Sur l’importance des legs aux pauvres dans les testaments du XIVe siècle, voir Chiffoleau (1980, nuova ed. 2011); Duval (2017).

3 Et en premier lieu à quelques études qui ont profondément renouvelé le sujet, tels ceux de Todeschini, 1976, pp. 15-77 e 2002; voir aussi Le Goff. 1986. Parmi les études plus récentes: Bertrand, 2004; Mixson, 2009; Lenoble, 2013; Manzi, 2013. On trouvera aussi des recueils regroupant des études variées pet précises sur le sujet: 2003, 2004 e Bériou e Chiffoleau, 2009; ou encore, sur l’Europe centrale: Cévins (de), Viallet, 2018; L'economia (2004).

4Cygler, 2004, pp. 77-117; Melville, 2018, pp. 19-36.

5 Le privilegium paupertatis et la règle de Claire n’était pas en vigueur dans l’immense majorité des monastères de Clarisses, à qui Urbain IV donna une nouvelle règle en 1263. Cette règle prévoyait la possession commune, comme dans les monastères bénédictins. Sur les règles de l’Ordre des clarisses, voir: Dalarun et Le Huërou, 2013. Durant les réformes de l’Observance, différentes tentatives de réformes, dont beaucoup avaient à l’origine les moniales clarisses elles-mêmes, tentèrent de revenir à l’observance de la règle de Claire; voir Lopez, 1994 et Dalarun et al. 2007.

6 Archivio di Stato di Firenze (ASF), Fondo delle Corporazioni Religiose Soppresse dal Governo Francese (CRSGF), n°102 et 102 appendice.

7 ASF, CRSGF, 102, en particulier n°12; 57; 58; 67. Sur les documents de nature économique conservés aux Archives de Santa Maria Novella, se référer à Panella, 1995, pp. 319-367. Liber Recordationum Novus: Archivio di Santa Maria Novella (ASMN), I A 3.

8 Pour les carmes, ASF, CRSGF, fonds 113. Pour les Servites, voir Citeroni, 2009, pp. 63-99.

9 Voir f. 19r (la foliotation ne couvre qu’une partie du livre): “Nero et Viviano di Giusto nostri lavoratori a Calonica deono dare per prestanza F 27 di puncto de’ quali ebbe da me frate Bartolomeo borsaio L 48, per mano di frate Iacopo messi a uscita” et f. non numéroté (fin du livre): “Benedetto che sta meco a Monterappoli de’ dare…”. Sur Bartolomeo da Monterappoli, voir Panella, 1955, p. 328.

10 Par exemple, f. 11v: “Comune di Firenze de’ dare a dì primo di luglio il capitale e il fructo e paghe 12 ogni anno di F 436 di possessioni vendute a F 5 per L, montano ogni anno le paghe F 21 e s 16 a oro”.

11 Peut-être le livre de créditeurs et débiteurs écrit par fra Zanobi degli Aliotti, cf. Panella, 1955, p. 328.

12 Par exemple: “Giugno. Lapo di Bartholo orafo del popolo di San Firenze e Lorenzo di Giovanni orafo del popolo di San Lorenzo e loro heredi deono dare per infino che vive monna Margherita donna che fu di Bindo di Piero Guernieri del popolo di San Paolo per lo altare facto nella chappella della compagnia di san Thomaso d’Aquino, il quale altare è intitulato in San Piero e San Paolo per la decta festa F4 per una piatanza, chome apparische per una scripta di lor mano posta nel diposito del convento con altri pacti. Incominciando a di 29 di giugno 1419. [continue jusqu’en 1427]. ASF, CRSGF, 102, 67, c. 10v, première partie.

13Ibidem, c. 7v: “Aprile. Rede di Bernaba degli Agli dono (sic) dare al convento F. cento in 4 anni, lasciò il decto Bernaba per testamento facto per mano di ser Francesco Aliocti della Coculia adi 28 overo 26 che fu il dì della morte sua nell’anno 1418.” Suivent les attestations de quatre paiements de 25 florins, avec des renvois au libro delle entrate. Le compte est ensuite cancellé et le comptable a ajouté: “Ragione di F. 10 (sic) in 4 anni. Et è cancellata questa.” Sur la même page, on peut voir la mention de deux autres legs prévus par le testament de Bernaba degli Agli: 100 autres florins à donner en dix ans pour un anniversaire (les paiements sont signalés jusqu’en 1426) ainsi qu’un autre legs qui prévoit le paiement de 3 florins par an pendant cent ans.

14Ibidem, f. 32v. Il comptable ajoute “Dice la partita al libro del Comune Frati, Capitolo e Convento di Sancta Maria Novella”.

15 Cette seconde partie est simplement intitulée “pigioni e ficti”. La foliotation s’interrompt après le f. 47 pour recommencer ensuite à partir de 1 au début de cette partie.

16 ASF, Diplomatico, disponible en ligne pour les XIIIe et XIVe siècles (spogli 64 e 83.4).

17 A cause des réglementations statutaires, qui rendaient très difficile, voire impossible, l’attribution de legs aux femmes de la famille, et en particulier aux mères et aux sœurs (Chabot, 2011).

18 En cas de non redistribution des rentes à l’usufruitier (plus souvent l’usufruitière), la propriété du bien pouvait être ôtée à l’héritier et passer à un autre propriétaire, c’est-à-dire l’institution pieuse désignée comme garante. Voir Duval, 2018b.

19 Sur l’importance des rentes pour les communautés de frères mendiants, se référer aux ouvrages cités en note 3, et en particulier à Bertrand, 2004.

20 On peut citer en guise d’exemple l’achat, de la part du couvent, d’une terre posita iuxta terrenum et ortum ecclesie sancte marie novelle, par l’intermédiaire de la pinzochera Duccia, qui acquiert la terre pour la donner ensuite immédiatement inter vivos à la comunauté le 8 janvier 1303 (ASF Diplomatico Santa Maria Novella).

21Duval, 2015 (chapitre 1).

22 La visite effectuée par le provincial Pierre Gui nel 1340 décrit le monastère de Prouilhe comme une communauté possédant un riche patrimoine foncier. Une partie des rentes issue de ce patrimoine était redistribuée à la province de Toulouse, pour les couvents de frères mais aussi pour financer l’organisation des chapitres provinciaux. Voir Peytavie, 2001, p. 434).

23 Voir Coulet, 1973, pp. 233-262 et Duval, 2009, pp. 495-516.

24 Voir notamment ASF, CRSGF 108, n°51, 52, 53, 54.

25 D’après mes récentes recherches dans le cadre du projet Marie Curie Actilit, la première moniale de San Domenico à tenir des comptes est Sandra Strozzi, en 1355 (ASFI, CRSGF, 108, n°125).

26 La pratique semble avoir été la même chez les moniales clarisses, et en particulier dans le monastère de Santa Maria di Montedomini, où les moniales établissent leurs comptes, qui sont ensuite contrôlés par les frères mineurs (ASFI, CRSGF 99, doc. n°4).

27 ASF, Diplomatico, Santa Maria Novella, Ottobre 1300 (l’acte est acéphale, l’année 1339 est indiquée sur le verso).

28… pro suis fratris Franchi necessitatibus et alimentis toto tempore vite ipsius fratris Franchi […]. Ibidem.

29 Il semble que l’archevêque ait donné ses instructions et les sommes d’argent directement au prieur de Santa Maria Novella et à fra Giovanni, que le nécrologe (Necrologio di Santa Maria Novella, vol. 1, p. 68) décrit comme son sotius. Les acquisitions liées à la construction de l’hôpital furent réalisées entre la fin des années 1330 et l’année 1341, et l’église de l’hôpital à Montelupo fut consacrée en 1342. Les dons de l’archevêque au couvent de Santa Maria Novella, par l’intermédiaire de fra Giovanni, commencèrent en 1335, selon une note contenue dans le Liber Novus et publiée par S. Orlandi parmi les documents annexes à son édition du nécrologe (Necrologio di Santa Maria Novella, vol. 2, pp. 430-431).

30 De fait, il ne s’agit pas stricto sensu d’un testament. Simone Saltarelli est mort en septembre 1342, cfr. Ronzani, 2017 (en ligne).

31 Voir les actes de l’année 1341 précédent le mois de septembre dans ASF Diplomatico di Santa Maria Novella. Le procureur du couvent actif durant cette période se nomme Caro di Pinuccio; il agit tant pour les moniales de San Domenico nel Maglio que pour “lo spedale dei frati di Santa Maria Novella nel popolo di san Giovanni a Montelupo” (régeste).

32 L’hôpital de Montelupo est mentionné dans le registre n°11 (registro di Entrate e Uscite), pour le mois de mars de l’année 1454: “Io frate Domenico di Lorenzo da.ffirenze rectore dello hospitio di sancto Michele in Montelupo de’ frati di santa Maria novella confesso avere ricevuto quatro lire per resto di lire venti le quali averò ad avere per uno canale il quale io feci fare a.ppetitione del monastero di sancto domenicho in el dicto hospicio di Montelupo a presso all’altro loro canale antico e così il dicto monasterio a nello hospitio di Montelupo due canali li primi che.ssi truovano nella entrata del cellaio e così io o facto questa scritta di mia mano e cosi mi chiamo contento d lire venti” (ASF 108, n°11, ff. non numérotés).

33 En particulier: Archivio di Stato di Pisa, Corporazioni Religiose Soppresse (ASP CRS), n°1775: registre du procrureur du monastère de Santa Croce pour les années 1303-1330; n°1776: registre du procureur du monastère de San Silvestro pour la décennie 1340.

34 Pour une comparaison avec les testaments de la période précédente, se référer à Rava, 2016.

35 Par exemple, dans le testament de Cola, épouse de Ciomeo (ASF, Notarile Antecosimiano, 4388, c.165r): la testatrice attribue une pièce de terre aux moniales Santa Croce, les obligeant à reverser chaque année aux frères de Santa Caterina les 6/8e des revenus qu’elles en obtiendront. De leur côté, les frères devront célébrer chaque année, le jour de la Sainte-Marguerite, un anniversaire pour son âme et pour ses défunts. D’autres exemples dans Duval, 2020, p. 261-280.

36 [La beata Chiara] mai non volsse una minima cosa possedere per l’austerità della santa povertà che ella tanto amava, in modo che più volte senti dire che quando udiva quella parola che dice il sapiente Salomone, cioè: “Divitias et paupertates ne dederis michi sed tantum victui meo tribue necessaria”, diceva non si potea in quel tempo con lui accordare per nulla, non parendoli fusse povertà quella quando havesse la necessità. Ma poi nel ditto quando havea il peso della famiglia grande et delle inferme, all’hora, ricordandosi di questa parola, dicea che bene s’accordava con essa (Duval, 2016, p. 144).

37 Pour les Clarisses, se référer à Roest, 2013.

38 La plupart des documents pratiques issus du monastère San Domenico de Pise sont aujourd’hui conservés aux archives de Santa Maria Novella: Archivi Toscani della provincia romana di Santa Caterina da Siena – fondo del monastero San Domenico di Pisa. Voir Duval, 2015.

39 Filippa Albizzi da Vico, prieure de 1385 à 1395, Chiara Gambacorta, prieure de 1395 à 1419, Maria Mancini, prieure de 1419 à 1430.

40 Archivio della provincia domenicana Santa Caterina da Siena, Fond monastère de San Domenico, “Libro di Entrate e Uscite 1430-1480”.

41Duval, 2015, p. 433. F = florins

42 Les religieuses engageaient aussi bien des livres liturgiques que des vêtements sacerdotaux (Duval, 2015, p. 493).

43 En particulier Archivio di Stato di Pisa (ASP), Diplomatico, San Domenico, n°173 et Duval, 2015, p. 431.

44Duval, 2016, p. 234 (Nécrologe du monastère).

45 […] non parea che Dio volesse sostenere l’afflictione della sua serva, che subito sovenia, o per elemosina, o per altra via, sì che fusse consolata (Duval, 2016, p. 149).

46 On pourra se référer, en guise de comparaison, à Lenoble, 2013.